Alexandre Lavet
Info
|fr
Info
|fr

Everyday, I don’t

Benoît Lamy de la Chapelle, septembre 2018


Texte écrit pour ‘Everyday, I don’t’, une exposition personnelle à Passerelle Centre d’art contemporain, Brest (FR).
Commissariat d’In extenso, Clermont-Ferrand (FR).


Le travail d’Alexandre Lavet a pour particularité de se fondre dans son environnement, d’éviter tout effet spectaculaire, tout en refusant pour autant de disparaître complètement. Si un nombre non négligeable d’artistes ont choisi, depuis les années 60 1, de mettre un terme à leur pratique artistique face au système de production des expositions, du gaspillage, du spectaculaire marchand, de la décoration et de la monumentalité exubérante, tel n’est pas la voie suivie par Alexandre Lavet qui préfère y opposer l’effacement, la discrétion et la vacuité. À l’instar de Douglas Huebler qui déclarait en 1969, «le monde est rempli d’objets plus ou moins intéressants; je ne souhaite pas en rajouter 2», l’artiste tente à sa manière, de ne rien rajouter, mais par le biais d’une stratégie différente qui ne saurait nier l’objet et la matière. Aussi, ces œuvres agissent par simulation et copie de ce qui se trouve potentiellement au sein des espaces d’exposition normés et de leur emblématique «white cube». En cela, il a choisi de continuer à produire des œuvres qui, une fois appréhendée dans l’espace d’exposition, peuvent être considérées par erreur comme des ready-made. Mais ces œuvres sont en réalité des anti-ready-made, car la question à l’œuvre dans la démarche d’Alexandre Lavet interroge les alternatives possibles à ce modèle, lorsqu’on a choisi de ne rien rajouter au surplus d’œuvres d’art, encore et toujours produites, exposées ou stockées dans des port-francs, et souvent, par conséquent, vidées de leur sens.

Ce sont donc bien des sculptures, des peintures, des dessins, des actes, des images ou encore des pièces sonores qui habitent son corpus d’œuvres et s’ajustent aux caractéristiques du lieu dans lesquelles elles agissent: on passe à côté d’un ticket de caisse négligemment laissé au sol… En revenant vers l’objet, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un simulacre réalisé par l’artiste, qui a scrupuleusement recopié son contenu à la mine de plomb; il ne s’agit pas pour autant de la simple reproduction d’un papier abandonné: l’artiste par ce travail d’orfèvre tient à y faire tenir tout un monde, celui d’un système de production, de consommation, toute une série de biens achetés dont ce ticket représente l’ultime trace une fois que ces derniers ont été dispersés. Une manière ultra minimale et silencieuse de représenter l’absurde consommation de masse actuelle. Aussi ce ticket se déplace de l’espace personnel de l’artiste (son atelier) à un autre, plus collectif et communautaire (celui des vernissages, des expositions ouvertes au public…). Ce corpus absorbe en outre son contexte de production, les moments de vie de l’artiste, et contient l’historique de son activité, comme en témoigne l’exemple des canettes de bières «Jupiler», typiques des vernissages et de l’environnement bruxellois, lieu de vie de l’artiste depuis maintenant plusieurs années. Là encore, l’artiste reproduit à l’identique le logo et les couleurs de la marque à l’acrylique tout en échappant au ready-made grâce à son augmentation par le truchement du geste de peintre.

Le titre des pièces nous informe parfois de la charge autobiographique de ces œuvres. En toute discrétion, l’apparente insignifiance des œuvres laisse entrevoir le parcours de l’artiste et sa construction en tant que tel, faite de rencontres, d’occupations, d’activités rémunérées ou bénévoles, de déplacements, de passages dans certains lieux et de découvertes… En somme, une présence par l’absence marquant la charge des épisodes du temps, nous épargnant l’effet généré d’une œuvre d’art trop physique, volumineuse ou monumentale qui s’imposerait à nous et nous enjoindrait à l’état de passivité face à l’évidence de son existence.

À Passerelle Centre d’art contemporain, l’exposition ‘Everyday, I don’t’ propose au sein de la programmation un espace a priori vide, chose étrange dans le cadre d’un parcours où le visiteur, passant d’une exposition à l’autre, est en droit de s’attendre à voir des œuvres. De ce fait, elle sème le trouble: l’artiste y met en scène une histoire possible de l’espace d’exposition entre montage et démontage, dans lequel le visiteur se risque à pénétrer pour tomber sur un espace apparemment vide d’œuvres, en attente. Peut-on seulement y entrer? Faut-il oser ? La banalité apparente des objets présents laisse songeur et questionne à la fois le statut de l’exposition et celui de l’œuvre d’art. L’impulsion négative du titre pourrait en effet indiquer la décision de ne rien faire de la part de l’artiste, ce qui expliquerait cet état d’abandon latent. Il nous invite, sous la forme d’un paradoxe, à nous questionner sur le concept du travail, imperceptible et difficilement quantifiable, dans le champ artistique. Disséminées et fondues dans leur environnement, les œuvres invitent alors le visiteur à fournir un effort de recherche, à questionner les statuts de l’œuvre et de l’artiste dans le cadre normé de l’espace d’exposition à l’ère du tournant spectaculaire et consumériste de la culture.


1 Citons par exemple Lee Lozano, Charlotte Posenenske, Cady Noland parmi d’autres
2 ‘Theories and documents of contemporary art: a sourcebook of artists’ writings’, textes choisis par Kristine Stiles et Peter Selz, Berkeley (Calif.) Los Angeles (Calif.) Londres, University of California Press, 1996, p. 840